Footing entre copines - Abigail

GET REAL

Pour une fois, tu étais réveillée bien avant ton réveil. C’était le genre de chose qui arrivait accidentellement et que tu maudissais pour avoir perdu quelques minutes de sommeil. Sauf que cette fois ne rentrait pas de cette catégorie. Ce n’était pas que des instants que tu perdais dans ta nuit, mais de longue minutes pendant lesquelles tu ne pus que fixer ton cadran. Tu aurais bien sur pu te tirer de ton lit, mais les couettes offraient un semblant de protection que tu rechignais à abandonner de sitôt. Tu n’en eus pourtant pas le choix puisque tu savais d’ores et déjà que ton footing matinal t’attendait. C’est ce qui te poussa à te nourrir pour avoir quelque chose dans le ventre avant de commencer le tôt. En recevant le SMS de l’autre jeune femme, tu commenças un échauffement nécessaire pour l’activité qui vous attendait. Ce matin là, à la différence de bien des autres fois, tu n’avais spécialement envie de courir même si tu savais déjà le bien que ça allait te faire. Au-delà de l’activité sportive qui n’était que bénéfique, le fait de parler à Sophie tous les matins avait définitivement quelque chose de thérapeutique.

L’arrivée de l’autre jeune femme mit fin à tout débat sur un éventuel abandon de ta part. « J’arrive. » Que tu répondis simplement par l’interphone. Puis, tu descendis à l’entrée avec un mince sourire sur les lèvres. C’est que ça te faisait plaisir de la voir après tout. Elle était visiblement de meilleure humeur que toi vu le rythme auquel elle partit. Tu t’efforças de la suivre, tentant de chasser une certaine personne de tes pensées. Sophie remarqua la différence de vitesse entre vous deux et revint à tes côtés pour te poser une question. Tu haussas les épaules : « On a vu mieux disons. » Tu ne te voulais pas énigmatique, mais pour l’instant ce serait suffisant. Tu aurais l’occasion de t’étendre lorsque l’effort physique t’aurait un peu détendue.
Reconnaissante qu’elle prenne ton rythme, tu le fus d’autant plus lorsqu’elle t’offrit la distraction par excellence : un sujet plus palpitant que ta propre vie. « Oh ? Il est comment ? Dis moi tout. » Il était évident que tu voulais les détails, après tout, c’était bien ce à quoi servaient vos footings matinaux. Puis bon, tu étais aussi bien contente pour elle. Vous n’étiez peut-être pas si proche, mais tu jugeais qu’elle méritait que de bonnes choses lui arrivent - non pas que ton opinion était la loi en la matière.

Faute de vouloir t’étendre, dans l’immédiat, sur ce qui te tracassait, tu préféras te concentrer sur  ce que te racontais Sophie. Tu aurais toujours l’occasion de parler de tes problèmes un peu plus tard dans le footing. Avide de détails, tu hochas distraitement la tête aux premières informations. Tu parvenais certes à avoir une image en tête grâce à la description, mais ce n’était pas exactement ce que tu cherchais. La suite, en revanche, était bien plus intéressante. Il fallait dire que tu n’étais pas sans opinion sur les amours de jeunesse retrouvées. Visiblement, la chose affectait particulièrement Sophie, ce que tu ne pouvais que comprendre, si bien que tu t’arrêtas à ses côtés lorsqu’elle cessa de courir. Tu ne comptais pas la presser pour avoir davantage d’information, tu te doutais que ça ne pouvait pas être simple pour elle.
Tu n’avais pourtant pas idée d’à quel point et tu eus droit à la surprise avec les derniers détails que l’autre jeune femme te partagea. « Oh… » Ce n’était pas la réaction du siècle, mais pour ta défense, c’était un peu plus délicat de parler d’un père marié et tu ne t’étais pas attendue à cela. Tu ne comptais pas juger pour autant, préférant poursuivre une fois la surprise passée. « Tu l’aimes beaucoup visiblement. » C’était l’impression évidente qu’elle renvoyait en tout cas. Tu ne voulais pas trop t’avancer sur les sentiments de quelqu’un d’autre, mais tu te permettais tout de même ce commentaire. Profitant de la belle vue pour réfléchir un instant, tu finis par demander : « Et lui ? S’il n’aime pas sa femme… » Peut-être aimait-il Sophie ? Ce serait la meilleure hypothèse. Bien sur, une part de toi ne pouvait qu’être réticente à l’idée d’encourager quelqu’un à s’intéresser à un homme marié, père de surcroit. Sauf que voilà, si le Damian en question n’avait pas de sentiment à l’égard de sa femme - il devrait la divorcer - il y avait de la place pour Sophie. Puis bon, de toute façon, tu n’étais pas là pour juger et si cela pouvait rendre l’autre jeune femme heureuse, alors pourquoi pas. Tu ne savais absolument pas si c’était une possibilité au fond. « En tout cas, j’en déduis que les retrouvailles se sont bien passées ? » À la fois une question et une observation. Vu ce qu’elle t’avait dit, ça semblait être le cas, mais avoir une confirmation te permettrait d’en savoir un peu plus sur cette histoire. Après tout, maintenant, ta curiosité était piquée.  

La réaction quand tu avais su ce dont il en retournait avec le prospect de Sophie n’avait certainement pas été optimale, elle avait pourtant été sincère. Après tout, sous le coup de la surprise, il fallait admettre qu’en pincer pour un homme marié, père qui plus est, n’était pas l’idée du siècle. Ce n’était pas un jugement de ta part. C’était elle ton amie et tu la soutiendrais donc quoi qu’elle fasse. Tout de même,il te fallait un moment pour assimiler la chose. Après ce moment d’adaptation, tu pus poser quelques questions pour en savoir un peu plus, histoire d’assouvir ta curiosité. Il fallait que tu saches, si Damian aimait Sophie, s’il y avait une chance pour ces deux-là (quelque chose que tu pouvais espérer puisque tu ignorais le lien de sang qui les unissait). Soucieuse de ne pas la presser sur un sujet qui devait être sensible, tu n’insistas pas face à son silence. Tu avais visiblement pris la bonne décision puisque quelques instants plus tard elle affirma que Damian l’aimait aussi. Un sourire se dessina sur tes lèvres alors que tu hochas la tête. Eh bien, c’était une bonne nouvelle ça. « Tant mieux alors. » Même si du coup, tu ne pouvais t’empêcher de te demander pourquoi ils étaient pas ensemble.
Tu préféras néanmoins poser une autre question, moins sensible. C’était du moins ce que tu avais cru. La réponse était moins encourageante que tu ne l’aurais cru et tu fus triste de l’entendre dire que le début des retrouvailles n’avaient pas été des plus plaisantes. Au moins il y avait eu une conclusion plus heureuse… ou pas. Alors que tu t’apprêtais à prendre la parole, sans doute pour lui poser d’autres questions, tu remarquas les larmes qui naissaient dans ses yeux. Tu n’eus pourtant pas le temps de réagir plus que ça, puisque Sophie se retrouva dans tes bras l’instant d’après. Tu ne comprenais définitivement pas le soudain changement d’atmosphère, mais tu t’efforças néanmoins de lui apporter un peu de réconfort. « Ça va aller… » Tu ne savais pas ce dont tu parlais, mais tu essayas tout de même de paraitre confiante. « Tu veux qu’on s’arrête un peu ? » Peut-être que prendre une pause lui ferait du bien. En tout cas ça te permettrait de trouver les bons mots à lui offrir, ce qui n’était pas simple considérant que tu ne savais pas ce dont il ne retournait vraiment au fond. « En tout cas… je ne sais pas tout de votre situation, mais il me semble que vous vous aimez tous les deux et c’est ce qui compte non ? » Oh comme tu étais naïve, mais c’était bien là l’âme romantique qui était en toi qui parlait à cet instant précis. Tu savais pourtant que l’amour ne faisait pas tout, tu l’avais découvert à la dure même.  

Le soudain retournement de comportement de Sophie te surprit, mais tu fis de ton mieux pour lui apporter un minimum de réconfort. Tu n’avais aucune idée de l’efficacité de ta tentative, mais avec de la chance, ce serait pas trop mal. Prendre une pause était une nécessité, mais ça ne t’aidait pas à retenir les questions qui brûlaient tes lèvres. Tu savais pourtant qu’il ne serait pas sage de la bombarder. Ta patience fut récompensée quelques instants plus tard et tu eus droit à une bonne quantité d’informations. Elle lui en voulait ? L’explication ne tarda pas et elle te laissa perplexe pendant un moment. Tu ne pouvais que comprendre son point de vue, après tout, ça te rappelait tes propres problèmes personnels. Certes, tu ne pouvais pas te mettre à sa place puisque tu n’avais pas eu la jeunesse difficile qu’elle avait du subir, mais tu pouvais comprendre le sentiment. « Peut-être qu’il n’a pas eu le choix, surtout pour ce qui est du mariage. » Après tout, un enfant changeait la donne. Peut-être s’était-il marié après que l’enfant ait été conçu ? Tu n’en savais rien, évidemment, mais c’était une supposition encourageante. Restait un détail important : « Mais… tu lui as dit tout ça ? » Une conversation pourrait sans doute éclairer bien des lanternes notamment sur la raison qui avait poussé le jeune homme à l’abandonner comme elle l’avait dit. C’était la seule option que tu voyais pour permettre à Sophie de passe outre le sentiment qu’elle avait.
Néanmoins, ça devrait attendre puisqu’elle te proposait de recommencer à courir après t’avoir demandé un mouchoir. Tu lui en tendis un avant de te relever avec un sourire. Tu espérais que votre petite pause et discussion avait pu lui apporter un minimum de réconfort, voir quelques conseils intéressants. Reprenant votre course, tu eus droit à une surprise quelques instants plus tard lorsque Sophie te ramena à ce que tu avais tenté d’oublier pendant tous ce temps. Ce rappel passa tout de même mieux en entendant l’ironie dans son commentaire. « Quelque chose comme ça… » Le tout avec un petit rire, mi-amusé mi-nerveux. Tu pris un moment pour trouver la bonne façon de raconter les retrouvailles inattendues. « Je t’ai déjà parlé d’Estrella non ? » Il te semblait avoir évoqué la chose, après tout c’était un sujet phare si tu mentionnais l’Espagne ou même ta vie amoureuse. « Eh bien, il se trouve qu’elle est à Wellington… J’ai été coincée dans un ascenseur avec elle. » Comment admettre que même après toutes ces années, elle te troublait encore.  

Ton explication, ta défense de cet amour de jeunesse ne semble pas plaire à la jeune femme. Tu comprenais, même si tu préférais voir d’un bon oeil la possibilité qu’il n’ait pas eu le choix. Se faire obliger d’une façon ou d’une autre, que ce soit par les circonstances ou par quelqu’un, voulait dire qu’on n’était pas pleinement responsable de certains actes. Peut-être que tu voulais voir les choses ainsi parce que ça expliquerait le comportement d’Estrella lorsqu’elle t’avait rejeté. Cela ne réglait pourtant pas ce que pouvait ressentir Sophie et tu te sentais mal de ne pas lui apporter davantage de réconfort. Quant à la réponse qu’il lui avait offert aux questions, tu devais t’avouer déçu, peut-être pas autant qu’elle avait du l’être, mais quand même. La protéger était un objectif louable, mais bien flou dans leur situation. « C’est à lui qu’il faudra demander. » Ce qu’elle savait sans doute déjà, mais que pouvais-tu ajouter de plus ? « Visiblement il te doit de meilleures explications. » Et tu espérais qu’elle en aurait, parce que c’était franchement bien dommage de laisser des flous. Surtout vu comment ça affectait Sophie.
Une fois la course recommencée, ce fut à ton tour de t’épancher sur ce qui te tracassait. Un exercice difficile, mais tu admis avoir rencontré Estrella. La chose fut assez bien résumée par la réaction de l’autre jeune femme et tu ne pus t’empêcher de grimacer légèrement. « Plus que gênant même. » Tu te voyais difficilement admettre que sa seule présence t’avait laissée toute chose. Tu ne voulais pas le dire et n’osais certainement pas le faire. Tu préféras donc rester vague dans tes explications de ce qui s’est passé. « Elle s’est excusée pour ce qui s’est passé et on a… rattrapé le temps perdu ? » Tu essayais de parler de la chose comme un événement extérieur à ta personne, comme si ça ne te faisait pas revivre d’anciens souvenirs pas très plaisants. « Mais je sais pas, c’était tellement bizarre. Je pense pas avoir complètement tourné la page. » C’était bien pénible à admettre au fond, surtout qu’il semblait s’être passé pas mal de chose dans la vie d’Estrella pendant ces années où vous ne vous étiez pas parlé. Tu ne savais que dire au fond, parce que ces retrouvailles t’avaient bien plus troublée que tu voulais l’admettre.  

À quelque part, tu aurais voulu offrir autre chose à Sophie en guise de réponse, mais tu ne connaissais pas suffisamment ce Damian pour avoir un indice sur pourquoi il avait fait toutes ces choses. Tu te promis tout de même de lui demander des nouvelles une prochaine fois avec l’espoir qu’elle aurait pu parlé avec l’élu de son coeur. Pour l’instant, tu avais d’autres chats à fouetter considérant que la conversation fut détournée vers ce qui te troublait. Tu aurais pu éviter ce sujet en affirmant ne pas vouloir en parler comme tu l’avais fait au début de votre course. Tu savais pourtant qu’en parler avec Sophie ne pourrait que te faire du bien. Vos entrainements matinaux t’avaient fait plus de bien que seulement te remettre en forme et te confier à elle t’aiderait sans aucun doute. Tu lui racontas donc tes retrouvailles avec Estrella dans un ascenseur où vous vous étiez retrouvées coincées. Une situation bien gênante qui t’avait appris plusieurs choses sur la vie de l’Espagnole. « On a discuté, rien de bien croustillant. » Tu ne savais pas si c’était quelque chose de croustillant qu’elle avait voulu entendre.
Le rire de Sophie te fit sourire, parce qu’il résumait bien ce que tu avais pu ressentir. « À qui le dis-tu. J’aurais voulu me frapper la tête contre un mur. » Peut-être que tu aurais du le faire, ça t’aurait évité d’être bien gênée pendant toute votre discussion. Ton amie continua sur sa lancée avec des questions qui te troublèrent pendant un moment. La première parce que la réponse te faisait mal, la seconde parce que tu n’étais pas sure de la réponse. Tu commenças donc par la première, certaine que Sophie pourrait comprendre vu comment vos situations étaient semblables. « Elle est ici… avec son fiancé. Il a eu un poste ici et elle l’a suivi. » Tu avais pu capter que ce n’était pas l’amour fou entre son fiancé et elle, mais ça te faisait tout de même du mal de penser qu’elle était fiancée. C’était idiot au fond considérant qu’elle t’avait assuré de multiples reprises qu’elle n’était pas intéressée. Enfin pour ce qui était de lui pardonner : « Honnêtement je ne sais pas. Elle m’a blessée mais… » Ça ne servait rien de lui en vouloir indéfiniment. « Je ne pense pas que je vais pouvoir lui reprocher longtemps. » Tu te connaissais suffisamment pour savoir que tu risquais fort bien de lui pardonner. Malgré tout ce qui s’était passé, tu tenais beaucoup trop à elle, la revoir t’avait rappelé ce détail.