High road | Andy

GET REAL

Carron sourit largement en entendant Andy se plaindre de ses cours de maths. Maintenant, l’école était loin derrière le coréen mais il se souvenait à quel point il avait hâte de travailler lui aussi. Il se demandait comment c’était l’école en Nouvelle-Zélande, lui qui avait fait toute sa scolarité en Ecosse, puis haussa les épaules. « C’est partit. » Il pensa évidemment à ses parents et réalisait qu’il poussait Andy à faire l’école buissonnière mais ne s’en soucia guère plus. Une journée sans école n’aurait pas d’impact sur son parcours scolaire, il en était sur et s’il fallait s’expliquer auprès de son père, il était prêt à le faire. « Ton casque est bien fermé ? » Il attendit la réponse du lycéen tout en pianotant un message sur son téléphone pour sa mère, puis conseilla à Andy de bien s’accrocher.
Carron referma sa visière, et démarra sa moto. Il n’avait pas d’itinéraire précis en tête, mais il connaissait bien les environs ; il improviserait. Bientôt ils avaient quitté Wellington et le paysage d’immeubles se transforma au fil des kilomètres en une forêt qui allait par delà l’horizon. Le motard se plongea dans la contemplation de celui-ci. S’il y avait bien quelque chose qu’il ne regrettait pas de son histoire avec Caleb, c’était d’avoir déménagé en Nouvelle-Zélande ; il ne se lasserait jamais de son paysage. Le ciel bleu épousait parfaitement la couleur verte des conifères qui ondulaient dans le vent. Carron souriait bêtement, heureux d'être ici, à ce moment précis.
C’était un peu bizarre de sentir Andy contre son dos ; ils ne s’étaient pas vus depuis des années et le voilà qu’il était contre lui. Pourtant il ne regrettait pas, s’il pouvait offrir ne serait-ce que quelques heures un sentiment de liberté au garçon, il s’en contenterait. Il était curieux de savoir ce qu’il était devenu, ce qu’il voulait faire après le lycée, et aussi à quoi ressemblait sa vie aujourd’hui.
Ils roulèrent une bonne heure sur les routes, s’enfonçant dans le centre du pays. L’air n’était plus le même, il était moins iodé, sentait le vert. Bientôt ils arrivèrent au sommet d’une colline sur laquelle il y avait une aire de jeu et les vestiges d’une histoire passée. Carron se gara sur le parking, et se leva, déposant son casque dans le coffre arrière. Il observa les alentours. D’où ils étaient il avait une bonne vue sur la plaine. Il demanda à Andy si tout allait bien puis ouvrit la marche en se dirigeant vers les vestiges. Il y avait beaucoup de vent, Carron sentait ses cheveux bouger lui faisant des frissons de temps en temps. « Alors qu’est ce que tu deviens ? Raconte moi tout. »

Carron était heureux de voir que la vue plaisait à Andy. Il y avait de quoi, ils voyaient presque tout d’où ils étaient. Parfois, Carron aimait se dire qu’il était sur le toit du monde. C’est l’impression que lui donnait ce lieu. Les vestiges d’un ancien temple maori renforçait cette idée. Ils étaient au même niveau que les Dieux, là où leurs ancêtres avaient vécu, entre terre et ciel. Ils marchèrent tous les deux ensemble quelques minutes. Carron avait rentré ses mains dans ses poches et observait la vue, un sourire inconscient au bord des lèvres. Puis les deux hommes s’assièrent sur un banc où il demanda au lycéen ce qu’il était devenu. Carron était assis sur le dossier, les mains encore au fond de ses poches pour se protéger du vent qui soufflait.
Il soupira discrètement quand il usa le mot pute pour décrire sa mère. Depuis qu’il aimait Hippolyte, il se rendait compte de ce que ça faisait que d’avoir un parent qui ne vous aime pas comme il devrait. Il était naturellement malheureux de savoir que la relation entre Andy et sa mère n’avait pas évolué. Il était tellement proche de sa mère, qu’il trouvait cette relation d’autant plus triste. Il ne s’imaginait pas une seconde vivre sans sa mère. Il ne savait même pas si sans elle il se serait remis de sa dépression. Sa mère était et avait toujours été son pilier. l se dit que ça ne devait pas être facile de ne pas avoir sa mère avec soi.
En revanche, Carron était tout sourire d’apprendre que Andy était capitaine de l’équipe de crosse du lycée. Il en déduisit qu’il était bien intégré et ne pouvait que s’en réjouir. Et puis ça expliquait que sa carrure ait autant évolué. Aussi, il était heureux d’apprendre qu’il s’entendait bien avec son beau père et son beau frère. Il aurait été malheureux d’apprendre que ce ne soit pas le cas. « Et tu veux faire quoi après le lycée, tu sais déjà ? » Il sourit en pensant à ce qu'il allait lui demander, mais il était bien trop curieux. « T'as une petite copine ? »
Carron se doutait qu’il lui cachait quelque chose, sinon comment expliquer cette mine triste tout à l’heure, lorsqu’il l’avait vu sur le bas côté de la route ? Pourtant il préféra ne pas insister. S’il avait besoin de parler, il se dit qu’il le ferait de lui-même. Puis en insistant, il prenait le risque de le braquer.
Le lycéen lui retourna la question, à savoir ce qu’il était devenu. Carron toisa l’horizon quelques secondes et soupira. Beaucoup de choses avaient changé, pour le mieux. « Caleb et moi nous nous sommes séparés. En fait il m’a quitté, sa famille avait réussi à lui faire croire que j’en voulais que pour son argent. Je sais toujours pas aujourd’hui comment il a pu les croire mais… » Il haussa les épaules. « C’est comme ça, tant pis. Je travaille toujours dans un cabinet d'ophtalmologie, mais un autre, en ville. Mes parents m'ont rejoint en Nouvelle Zélande, je suis super content. J’ai été avec une fille pendant un temps mais on s’est séparé aussi et je suis avec un homme maintenant, mais je suis sur que c’est le bon. Il garde des enfants, et il souhaiterait devenir musicien, il est vraiment super. Attends, je dois avoir une photo. » Il sortit les mains de ses poches pour sortir son téléphone et chercha une photo de son amant. La première qu’il trouva était une photo d’eux en vacances, près de la mer. On pouvait voir dessus à quel point ils s’aimaient. « Il s’appelle Hippolyte. Il voudrait que je chante avec lui. Il joue de tout plein d'instruments et il chante aussi. » Rien qu’en évoquant son nom, Carron avait le sourire jusqu’aux yeux. Il rangea son téléphone et pensa à lui. Il devait être encore à l’hôpital aujourd’hui.
Evidemment, il avait intentionnellement omis sa dépression et son hospitalisation après Caleb, et la dépression d’Hippolyte. Il n’avait pas vraiment envie d’inquiéter celui qu’il considérait comme son petit frère.

Carron se rendit compte que finalement beaucoup de choses le séparaient d’Andy, à commencer par sa relation avec ses parents. Les deux pères de l’adolescent le poussaient à suivre la même carrière qu’eux. Le père de Carron, lui, avait souhaité le voir évoluer dans la même branche que lui mais ne l’avait jamais forcé à faire quoi que ce soit qu’il ne veuille pas. Sa mère l’avait toujours soutenu peu importe ses choix, alors il ne comprenait pas qu’on puisse forcer son enfant à suivre des études qu ne lui font pas envie. A cet égard, il éprouvait beaucoup d’empathie pour Andy. Il posa une main sur son épaule pour lui montrer son soutien et soupira. « Tu leur en as parlé ? Ton père n’avait pas l’air d’être fermé, il doit bien concevoir que la médecine ça ne te dit pas, non ? »
Il était par ailleurs surpris de savoir qu’Andy se dirigeait vers l’écriture. « Tu écris déjà ? Ca te vient d’où ? » L’écriture n’avait jamais attiré le coréen bien qui lui arrivait cependant de lire des romans de temps en temps. Ces derniers temps, c’était une toute autre activité artistique qui l’attirait : le chant. Il avait même étudié à plusieurs reprises la grille tarifaire du conservatoire de Wellington et l’idée de s’inscrire à des cours le tentait de plus en plus. En fait, c’était depuis cette fois au chalet, quand Hippolyte s’était assis au piano et qu’il l’avait accompagné. Il avait découvert un monde qu’il lui tardait d’explorer. « Je me disais, tu peux peut-être en parler à tes profs, ils arriveront peut-être à convaincre tes pères qu’écrire est mieux pour toi. »
« Ca viendra t’inquiète pas. » Il frappa amicalement l’épaule d’Andy. Lui aussi il n’avait pas eu beaucoup de petits et petites am(e)s au lycée.
Il fut néanmoins surpris et gêné par la question d’Andy sur sa sexualité, et plutôt que de tourner autour du pot il lui répondit franchement « Je suis bi. En fait je me pensais hétéro avant de rencontrer Caleb, c’était le premier homme que j’ai aimé, et puis je suppose après que c’était plus simple de retourner vers une femme, je sais pas. » Sur cette réflexion, il laissa son regard se perdre à l’horizon et se posa la même question à propos de l’adolescent, d’autant qu’il savait qu’il vivait avec deux pères et qu’il ne voyait jamais sa vraie mère. « Et toi, tu sais où tu en es ? Si c’est pas indiscret. »

Il voyait bien qu’Andy n’était pas à l’aise à l’idée de partager ses envies d’écrire avec ses parents, mais pour Carron il était essentiel qu’il leur en parle. « Oui, mais je pense que tu devrais quand même leur en parler. Au moins tu seras fixé. S’ils disent oui, t’auras ce poids là en moins sur tes épaules, et s’ils disent non au moins tu seras fixé. Mais quand même, ça m’étonnerait qu’ils te disent non, surtout ton vrai père. Je ne connais pas l’autre, mais si ton père l’aime c’est qu’il doit être au moins aussi gentil que lui non ? » Carron regretta un peu l’utilisation de l’expression vrai père car il avait l’impression de dire que l’autre était un faux père, mais maintenant qu’il l’avait dit, il pouvait difficilement revenir en arrière. Et puis de toute façon, il doutait qu’Andy le prenne mal.
« C’est super que t’écrives si ça peut t’aider à canaliser tes sentiments. » Carron sourit puis partagea son envie pour la musique. « Je crois qu’Hippolyte m’a vraiment donné envie de chanter moi. Je me suis découvert un talent. » Il rit doucement, avant de reprendre « Non, j’irai pas jusque là, mais j’adore, vraiment. Je me sens bien quand je chante. » Ça lui faisait tout bizarre d’en parler avec Andy parce qu’il en avait encore parlé à personne, pas même à sa mère. Il avait peur qu’on se moque de lui ou encore qu’on le juge. Avec Andy au moins il était sur de ne pas être jugé.

Les deux hommes se plongèrent dans la contemplation du paysage et Carron ne put s’empêcher de faire la moue en voyant l’adolescent s’allumer une cigarette. Il était tellement jeune pour s’abîmer les poumons. C’était plus fort que lui ; il ne pouvait s’empêcher de lui faire la morale à la façon d’un grand frère un peu trop protecteur « Tu devrais pas fumer, t’es encore jeune, et ça va t’abimer la santé. Et puis au niveau de ton équipe de cross, ça va être dur si tu perds du souffle non ? » Il était tenté de lui arracher la cigarette des mains mais se retint. Il ne voulait pas non plus lui imposer ses choix et être lourd. Ils étaient là pour prendre du bon temps et non pas pour s’embêter.

Quand la conversation se tourna sur l’orientation sexuelle de Carron, il se leva et proposa à Andy de marcher un peu pour profiter de la vue et des vestiges. Ils avaient été assis tout ce temps sur la moto, ça aurait été bête de venir ici pour s’éterniser sur un banc. Il écouta le lycéen parler attentivement tout en profitant de se dégourdir les jambes et de sentir le vent sur son visage. Il avait mis ses mains dans ses poches, par réflexe. « Un AVC, carrément ? » Il rit de bon cœur avant de continuer. « Tu sais j’ai été attirée par les femmes avant d’être attiré par les hommes. » Il voulut ajouter que c’est avec une femme qu’il avait perdu sa virginité, mais jugea que c’était trop intime pour être partagé. « Tu ne sens aucune attirance plus pour l’un que pour l’autre ? Dans la rue ton regard ne va jamais toujours vers le même sexe ? » Carron tapa l’épaule d’Andy. « T’es peut-être comme moi. » Il fallait mieux en rire qu’en pleurer et Carron préférait plaisanter que de parler avec une voix lourde de sens. Et puis Andy était de toute façon encore jeune, il avait encore tout le temps de se découvrir. « Au lycée je me croyais hétéro. »

Carron se rendit compte qu’Andy ne voulait pas faire lire ses écrits à ses parents et il lui dit, comme une évidence « Tu n’es pas obligé de tout leur faire lire, il y a bien un texte auquel ils peuvent jeter un coup d’œil, non ? » mais Andy baissa les yeux au ciel. Il lui sembla qu’il voulait parler de quelque chose de difficile. Puis, il lui avoua qu’il avait des soucis au lycée. Carron s’arrêta une demi seconde avant de recommencer à marcher. Mince, que pouvait-il avoir comme soucis ? Il s’imagina toutes sortes de scenarios, mais le plus simple était toujours de demander « Qu’est ce qu’il y a ? »
Ils parlèrent ensuite de leurs passion respective, et Carron ne peut s’empêcher de soupirer face à l’humour douteux d’Andy, mais il retrouva rapidement son sourire. « Oui, je suis intimement convaincu qu’on était faits pour se rencontrer. » Il sourit. « Quand tu seras écrivain, j’espère que tu me donneras tes livres gratuitement ! Je t’inviterai à un de mes concerts moi ! » Il rit ensuite à gorge déployée. Ils étaient encore tous les deux loin d’être en là, mais il aimait bien imaginer que ce soit le cas. Et puis au fond, c’est tout ce qu’il leur souhaitait.
Carron fit la moue en écoutant ses excuses sur le tabac. Oui, il considérait que c’était des excuses, il n’avait jamais compris qu’on puisse mettre volontairement sa santé en danger comme ça. Il maugréa et ajouta d'un ton un peu froid. « Ris pas du cancer, ça doit vraiment pas être chouette. Si tu veux percer dans le cross, tu devrais arrêter. » Il préféra rien n’ajouter de plus parce qu’il se rendait compte qu’il n’était pas très gentil à lui parler comme ça, bien qu’au fond il ne pensait qu’à sa santé et son avenir. Ça partait d’une bonne intention.
Quand il eut finit de fumer et qu’il eut jeté son mégot dans une poubelle la conversation tourna autour de leur orientation sexuelle respective. Carron rit doucement quand Andy appella Hippolyte le beau gosse. Bon, il ne pouvait vraiment pas dire le contraire, pour lui, il était le plus bel homme qui lui ait été donner de voir. « Attention, va pas me le piquer hein. » Puis, en l’écoutant parler, il eut l’impression qu’il était plutôt attiré par les hommes, mais dans le fond, à son âge, ça n’avait rien d’important de savoir tout de suite quel sexe on aime. « T’as le temps de savoir, t’inquiète. » Sa remarque sur les films le rendit perplexe et il préféra ne pas relever. « Moi ça m’est tombé dessus comme ça avec Caleb tu sais. Je me pensais pas du tout attiré par les hommes. C’est comme un coup de foudre, tu vois quelqu’un tu l’aimes et que ce soit un homme ou une femme ou un extra terrestre, ça ne change absolument rien. Et puis t’as pas à craindre la réaction de tes parents toi au moins. » Il disait ça, mais au fond ses parents à lui avaient plutôt été compréhensifs avec Caleb. Ce qui les avait dérangé en fait, c’était plutôt qu’il parte s’installer à l’autre bout du monde avec lui.

Carron ne s’attendait pas à de telles révélations. Il l’écouta silencieusement et peiné. Il grimaça en entendant que ça durait depuis déjà des années. Il baissa les yeux et son sourire s’effaça pour laisser place à une moue bien triste. Cette fois il s’arrêta pour de bon, il ne pouvait pas avancer et faire comme si de rien n’était. « Mais attends. » Andy ne pouvait pas non plus lui dire ça et passer à autre chose, c’était trop grave. « T’en as parlé à quelqu’un Andy ? A tes parents, à ton entraîneurs ou des enseignants ? Tu peux pas garder ça pour toi, c’est grave. Qu’est ce qu’ils te fait ? » On pouvait aisément lire l’inquiétude sur son visage. Il avait peur de sa réponse. « Fais confiance aux adultes, ils t’aideront. Ca peut pas durer. » Carron pouvait à peine imaginer ce que l’adolescent vivait. Il se dit qu’il fallait absolument le convaincre d’en parler à quelqu’un et que s’il n’y arrivait pas, il le ferait lui-même. Il ne pouvait pas juste fermer les yeux et espérer que tout aille mieux. Il fallait agir.
En parlant de la cigarette et du cancer, il haussa les épaules. Il lui en voulait de fumer, mais maintenant il comprenait. Il se doutait qu’Andy avait besoin de quelque chose pour se détendre, même s’il n’aimait pas l’idée qu’il mette en danger sa santé.
« Arrête, t’es pas moche. Je suis sûr que je suis pas le seul à penser. T’as du muscle en plus et ça doit en faire rêver plus d’un. Puis tu sais, j’ai eu une phase ingrate, comme tout le monde. » Carron ne savait pas quoi en penser. Il regardait au loin, désolé qu’Andy parle de lui comme ça.
La suite le rendit perplexe. Il fronça les yeux, gêné de l’entendre parler de sexe de façon aussi libérée. Il se gratta l’arrière de la tête et hésita avant de répondre « En même temps c’est tes parents. Je suis pas sûrede rester aussi cool si t’étais mon fils. Je… » Il ne savait pas quoi lui répondre. Il comprenait parfaitement ses parents. Carron n’avait jamais eu de soucis avec sa mère ou son père quand il était plus jeune. « Je parlerais pas de sexe devant mes enfants, c’est gênant. Puis je sais pas, t’imagines avoir un enfant te parler de… » Il hésita à reprendre ses termes. « De queue ou de vagin comme tu dis ? » Il grimaçait. La conversation était devenue vraiment très étrange.